Les gays et le sexe : Actif / Passif, la fin d’un clivage ?

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En tant que premier média LGBT de France, Garçon Magazine a toujours eu à cœur de vous tenir informés des « pratiques sexuelles des hommes qui aiment les hommes ». Nous vous présentons aujourd’hui un rapport proposé par l’IFOP qui permet de mesurer une variable structurant historiquement les rapports entre homosexuels. Cette étude montre que si les relations érotiques entre hommes restent dominées par une polarité de genre arrimée à la division des rôles sexuels, la « versatilité » est désormais la situation la plus courante chez les hommes qui aiment les hommes. François Kraus a accepté de nous donner quelques chiffres.

Seul un quart (25%) des gays déjà initiés sexuellement ont été exclusivement actifs (11%) ou passifs (14%).

François, dans cette étude, pouvons nous-constater une « rigidité de genre » chez les homos, c’est à dire des gens qui seraient 100% actifs ou 100% passifs ?

Contrairement aux idées reçues, rares sont les hommes qui aiment les hommes à avoir toujours respecté une stricte « rigidité de genre », comme tu dis, dans leurs rapports sexuels avec des hommes :

Seul un quart (25%) des gays déjà initiés sexuellement ont été exclusivement actifs (11%) ou passifs (14%) au cours de leur vie, les trois quarts d’entre eux (75%) ayant déjà alterné les deux rôles avec leurs différents partenaires sexuels.

Et on retrouve la même disposition à alterner les rôles chez les bisexuels (75%) et les « hétéros curieux » ayant déjà eu un rapport avec un homme (72%) même si on décèle chez ces derniers une plus grande réticence à adopter un rôle différent de celui auquel ils sont habitués dans leurs rapports avec les femmes : seuls 29% d’entre eux déclarent avoir été majoritairement passifs au cours de leur vie, contre 38% des bis et 40% des gays.

Aujourd’hui, après divers essais et expériences au cours de leur vie, les gays sont certes sensiblement plus nombreux (37%) à ne vouloir assumer qu’un seul rôle sexuel mais la grande majorité d’entre eux (63%) restent attachés à une forme d’interchangeabilité des rôles entre partenaires.

Près d’un tiers des gays se disent même « versatiles » au sens strict (31%) - c’est-à-dire actuellement autant passifs qu’actifs dans leurs rapports avec des hommes -, soit une proportion sensiblement plus élevée que chez les bisexuels assumés (29 %) ou chez les « hétéros curieux » ayant déjà eu des rapports sexuels avec des hommes (25%).

41% des gays se disent majoritairement passifs, 31% strictement versatiles et 28% majoritairement actifs.

Mais est-ce vrai ou est-ce un cliché que de dire que le rapport actif / passif continue, en 2018, à structurer les couples homosexuels ?

Si le principe d’interchangeabilité des rôles semble de plus en plus partagé, on observe toujours un fort attachement à l’organisation des relations entre hommes autour du modèle actif/passif :

Dans leurs rapports sexuels avec des hommes, 41% des gays se disent majoritairement passifs, 31% strictement versatiles et 28% majoritairement actifs. A l’inverse, les hétéros curieux ayant déjà couché avec un homme sont moins nombreux à se dire majoritairement passifs (29%) que majoritairement actifs (46%), un quart (25%) se disant purement versatile. La répartition des bisexuels étant quant à elle très équilibrée : 36% de passifs, 35% d’actifs, 29% de versatiles au sens strict.

Cette moindre disposition des hétéros à assumer avoir un rôle passif (29% contre 36% des bis et 41% des gays) reflète sans doute leur plus grande difficulté à admettre la part de féminité associée à la passivité sexuelle et par là le risque d’une potentielle remise en cause leur identité de genre. A l’inverse, les gays admettent beaucoup plus facilement un statut de passif, sans doute parce qu’ils assument déjà socialement une orientation à même d’écorner aux yeux des autres leur « qualité d’homme ».

Et chez les hommes n’ayant joué qu’un seul rôle dans leur vie - soit 25% des gays et des bis ayant eu des rapports avec des hommes -, la disposition à changer de statut reste minoritaire : moins d’un tiers (31%) se disent disposés à changer un jour de statut et ceci quelque soit le rôle auquel ils sont habitués à jouer (29% chez ceux ayant été uniquement passifs, 32% chez ceux ayant été uniquement actifs).

Si elle reste minoritaire, la disposition à alterner les rôles est moins forte chez les gays (29%) ou chez les bis (32%) que chez les hétéros ayant couché avec des hommes (41%) : leur intérêt pour la sodomie réceptive - déjà observé dans le passé - n’étant sans doute pas étranger au fait qu’ils sont moins nombreux (53%) que les bis (69%) ou les gays (83%) à s’être déjà adonnés à la sodomie en tant que réceptifs.

Les hommes majoritairement actifs sont deux fois plus nombreux chez les hommes faisant moins de tâches ménagères que leur conjoint (44%).

Donc, peut-on dire que ce rapport actif / passif est un rapport de domination sociale ?

Dans la mesure où « l’opposition actif/passif, pénétrant/pénétré, identifie le rapport sexuel à un rapport de domination (le pénétrant étant le dominant) » (Pierre Bourdieu, 1998), il est intéressant de savoir si cette division des rôles sexuels entre hommes reflète également des disparités dans d’autres champs de la vie conjugale comme le niveau de revenus ou la répartition des tâches ménagères.

Confirmant des études qualitatives précédentes (Courduriès, 2006), cette enquête montre en effet que les couples de même sexe ont tendance à répartir les tâches domestiques au sein du foyer en fonction des rôles perçus comme masculins ou féminins adoptés dans leur sexualité.

Ainsi, les hommes majoritairement actifs sont deux fois plus nombreux chez les hommes faisant moins de tâches ménagères que leur conjoint (44%) que chez les hommes en faisant beaucoup plus (25%). A l’inverse, les hommes majoritairement passifs sont surreprésentés dans les rangs des hommes faisant beaucoup plus de taches que leur partenaire (49%), comme si la part de féminité accolée à la passivité sexuelle favorisait la prise en charge des tâches domestiques perçues comme féminine.

Toutefois, cette inégale répartition des tâches ménagères tient peut-être aux disparités sociales au sein du couple : les hommes ayant un rôle sexuel perçu comme « masculin / dominant » tendent à occuper des positions élevées dans la hiérarchie sociale.

Par exemple, les hommes se disant actifs sont surreprésentés dans les rangs des personnes occupant une position sociale élevée : 51% parmi les chefs d’entreprise contre 33% des salariés, 41% par les salariés gagnant plus de 3 000 €/ mois, contre 33% chez ceux gagnant moins de 1 500 €/ mois.

François, quel est votre point de vue au sujet de cette étude ?

Je pense que c’est véritablement symptomatique de l’idéal de sexualité égalitaire et réciproque qui imprègne désormais aussi bien les couples hétérosexuels qu’homosexuels, la grande versatilité observée dans cette enquête remet en cause l’idée selon laquelle la sexualité homosexuelle ne pourrait s’inscrire qu’en suivant un script culturel hétérosexuel. Cette étude prouve qu’entre les deux pôles sexués actif/passif se situent désormais des situations intermédiaires qui nuancent le clivage « pénétrant/pénétré », « dominant/dominé » qui persiste dans les représentations sociales et culturelles associées à la sexualité gay.

Toutefois, même si elles sont sans doute moins figées que dans le passé, ces deux catégories d’identification renvoient toujours à des styles de comportement et de présentation de soi socialement codés comme masculin ou féminin. En cela, la division des rôles sexuels entre hommes ne se limite pas à la chambre à coucher : elle reflète aussi des disparités dans les différents champs de la vie conjugale, en premier lieu desquelles la répartition des tâches domestiques perçues comme « féminines ».

Ainsi, même si les couples de même sexe s’inscrivent dans un modèle conjugal plus égalitaire dans la mesure où les deux membres de la dyade amoureuse occupent la même place dans la hiérarchie de genre, leur quotidien conjugal n’échappe pas aux rapports inégalitaires observés dans tous les couples.

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