Version mâle de Grace Kelly, Tab Hunter, grand, blond, aux yeux bleus, était à son époque l’incarnation même du jeune américain. Le garçon dont toutes les filles étaient amoureuses. Le gendre dont tous les parents rêvaient. Le beau gars sain, musclé, poli et distingué, auquel tous les garçons désiraient ressembler. A dream come true, comme ils disaient, « un rêve devenu réalité ». Il était LA star. Le visage même de cette Amérique policée et factice. Le jeune homme lisse, au sourire ravageur, qui jouait les étudiants modèles, les surfeurs, les héros, les soldats. Pourtant, derrière ce masque parfait, se dissimulait un secret.

Tab Hunter était gay.
A cette époque, l’homosexualité était taboue. Pire, elle était interdite par la loi. Imaginez combien il était difficile alors pour un homosexuel de vivre sa vie. Poussés par l’obsession de paraître « normaux », la plupart se mariaient, fondaient des familles, jouaient le jeu tout en étant sans arrêt tiraillés par leurs besoins « pervers ». Ecrasés par le poids de la culpabilité. Terrifiés d’être découverts ou d’être dénoncés. C’était une vigilance de tous les instants. Des aventures consommées dans l’urgence. Des amours malheureuses. Des suicides par milliers. Certains finissaient entre les mains de docteurs qui prétendaient pouvoir guérir cette « maladie » par des méthodes barbares et, bien sûr, inefficaces. Electrochocs, lobotomies, thérapies d’aversion. L’Amérique des années 50, sous ses airs de paradis, était un véritable enfer pour n’importe quel gay. Mais pour le beau Tab Hunter, c’était pire que l’enfer. Car les yeux étaient partout. L’œil de la caméra, des appareils photos, des journalistes, des fans, du tout Hollywood.
Porté aux nues dès ses premiers rôles, embarqué dans le tourbillon du succès, des tournages qui s’enchaînent, des apparitions télé, il n’avait pas une minute à lui. De plus, au contraire de la plupart des comédiens qui lorsque le metteur en scène crie « Coupez » peuvent sortir de leur personnage et redevenir eux-mêmes, le pauvre Tab, lui, quittait un habit pour un autre. Son meilleur rôle ? Le sien. Celui du fiancé de l’Amérique. Mais quand pouvait-il être lui-même ? La réponse est terrible : jamais.
Pourtant la nature est plus forte que la censure. L’amour plus fort que le danger. Et Tab a fini par avoir des amants. Mais quelle misère de ne pouvoir aimer au grand jour ! Et la pression des studios, la peur des rumeurs, l’angoisse des chasseurs de scoops. La terreur de ne plus jamais pouvoir travailler. Tout cela se mettait en travers de lui et de l’autre. Ne laissant que peu de place à la tendresse. Jouer la comédie, tout le temps. Aimer follement Anthony Perkins mais devoir sortir au bras de Natalie Wood. Une vie qui ressemble à un mauvais rêve. Ou à un film de série B.
Dans le superbe documentaire de Jeffrey Schwarz, Tab Hunter se dévoile enfin. Et c’est là justement la force du film. La parole de Tab, face caméra. On le devine, sans cette occasion jamais il n’en aurait parlé. Il le dit lui-même, se jouant de sa réticence à évoquer cette partie de lui « Bof, qu’est-ce que ça peut faire maintenant ? Je suis vieux, je n’ai plus à me cacher ».
A travers l’histoire de l’acteur, c’est tout le système Hollywoodien qui se révèle.
Tab Hunter Confidential de Jeffrey Schwarz
Outplay, 90min