The Body Optimist a récemment publié un article portant sur les personnalités transgenres oubliées par l’histoire. A la rédaction, nous avons été très touchés par ce sujet et avons décidé de le partager à notre tour !
by Gaëlle G.
Comme le souligne The Body Optimist, l’Histoire est écrite sous la plume des “dominant.e.s”. Ces derniers ont toujours aimé mettre en avant un certain type de personnes et ont volontairement oublié tous les autres. Il est donc difficile de retrouver les traces de personnalités transgenres. Ces personnes ont cependant toujours apporté un grand savoir, que ça soit en science, en arts ou encore en sciences sociales. Voici donc une liste non exhaustive de personnalités transgenres qui ont marqué leurs époques et dont les histoires continuent d’influencer nos perceptions et notre évolution.
Bambi de la scène aux salles de classe, une icon pour les personnes transgenres…
Bambi naît à Isser, en Algérie, sous le nom de Jean-Pierre. Elle déteste ce prénom depuis toujours. Il ne lui correspond pas.
“Je ne me souviens pas quand est née la conscience d’être une petite fille, mais je ne me souviens pas d’autre chose.”
Pendant plusieurs années, Bambi a conscience d’être différente et reste solitaire pour se préserver des violences psychologiques qu’elle subit de la part de sa famille. A 18 ans, Bambi s’émancipe enfin. Elle fait ses premiers pas à Paris, au cabaret de Madame Arthur à Montmartre.
“Je chantais deux chansons : une à onze heures et une à cinq heures du matin !”
Elle apprend à se maquiller, à chanter et à danser. Un an plus tard, elle passe au Carrousel, un établissement d’une réputation plus grande encore, et adopte son nom de scène définitif : dorénavant, elle sera Bambi.
Femme pionnère
Bambi est l’une des premières en France (après Coccinelle) à effectuer ce qu’on appelle aujourd’hui une “transition”, c’est-à-dire faire les démarches pour être reconnue de genre féminin, autant de par son apparence physique que sur ses papiers d’identité.
L’année 1968 marque un tournant dans la vie de Bambi. Elle réussit à changer son état-civil pour Marie-Pierre et s’inscrit à l’école par correspondance pour obtenir son bac. A l’âge de trente-trois ans, Bambi se reconvertit, tout en continuant son travail de nuit : elle s’inscrit en lettres à la Sorbonne. Quelques années plus tard, elle rejoint l’Education Nationale. D’abord à Cherbourg, puis à Garges-lès-Gonesse, Bambi est une professeure sévère, mais respectée et aimée par ses élèves. Elle tient une autorité naturelle qui lui vient de ses années sur scène.
“J’ai adoré mon travail en scène. D’ailleurs, je l’ai trop aimé. J’en ai profité pendant vingt ans. Et puis ma grande surprise a été que j’ai tout autant aimé enseigner.”
Lucy Hicks Anderson, l’une des premières personnes transgenres afro-américaine documentées…
Née à Waddy, dans le Kentucky, en 1886, Lucy Hicks Anderson insistait pour porter des robes à l’école. Alors qu’elle était encore enfant, sa mère, inquiète, l’emmena chez un médecin qui lui suggéra de permettre à son enfant de vivre comme une femme.
À l’âge de 15 ans, elle change son nom en Lucy et quitte la maison. Lucy Lawson épouse Clarence Hicks en 1920 et divorce en 1929. Travaillant comme domestique, elle économise son argent et finit par posséder et exploiter une maison close à Oxnard, en Californie. En 1944, Lucy Hicks épouse Reuben Anderson. Mais un an plus tard, lorsqu’une épidémie de maladie vénérienne à Oxnard aurait eu pour origine l’établissement de Hicks, les employés reçoivent l’ordre de subir un examen médical physique où est révélé que Lucy avait été assignée mâle à la naissance.
Lorsqu’il le découvre, le procureur du comté de Ventura annule le mariage et arrête Lucy pour parjure, justifiant l’accusation en disant qu’elle avait signé la licence de mariage déclarant qu’il n’y avait « aucune objection légale au mariage ». Lucy Hicks Anderson et son mari ont tous deux été jugés par le gouvernement fédéral. Au cours de son procès pour parjure, Lucy Hicks Anderson a déclaré :
« Je défie n’importe quel médecin au monde de prouver que je ne suis pas une femme. J’ai vécu, je me suis habillée et j’ai agi exactement comme je suis, une femme. »
Condamnée pour avoir été fidèle à elle-même
Elle a été placée en probation pendant dix ans comme alternative à la prison. Cependant, ses problèmes ne sont pas terminés. Lorsque le gouvernement conclut que Lucy avait reçu illégalement les chèques d’allocation d’Anderson en tant qu’épouse d’un membre de l’armée américaine, le couple est jugé et condamné pour fraude.
Après sa sortie de prison, il est interdit à Lucy Hicks Anderson de revenir vivre à Oxnard. Elle s’installe à Los Angeles où elle vit jusqu’à sa mort en 1954. Elle demeure jusqu’à aujourd’hui, une des personnes transgenres qui inspire le plus les jeunes (et pas que) d’aujourd’hui.
Lili Elbe, peintre et muse
Née dans la ville de Vejle en 1882. Elle étudie à l’Académie royale des Beaux-arts du Danemark à Copenhague où elle rencontre Gerda Gottlieb qui devient sa femme en 1904. Les deux commencent une carrière de peintre, se soutenant mutuellement.
Lili, à l’époque Einar, peint des paysages dans un registre très classique quand Gerda réalise des portraits plutôt modernes dans un style art déco et dessine pour des journaux, des publicités, la mode.
Einar va commencer par poser pour Gerda lorsque ses modèles ne sont pas disponibles devenant bientôt sa muse. Gerda fera ainsi plusieurs portraits et Einar Wegener devient ainsi petit à petit Lili Elbe, d’abord pure création artistique issue de l’imagination du couple mais dans lequel Einar ressent le besoin de s’incarner de plus en plus. Lili sort dans les rues de Paris, participe aux fêtes parisiennes se faisant passer pour la sœur d’Einar.
Einar a besoin de poursuivre sa mutation. Elle est soutenue dans sa démarche par Gerda et ils vont pour cela aller consulter plusieurs médecins. En 1930, Fernand Warnekros en Allemagne accepte de l’opérer.
Einar Wegener devient Lili Ilse Elvenes alias Lili Elbe. Alors que son mariage avec Gerda est annulé par le roi du Danemark, les deux femmes décident de se séparer.
Lili arrête complètement la peinture à cette période-là et souhaite devenir mère. Elle se lance dans une opération pour se faire implanter un utérus mais qui est un échec. Elle meurt le 13 septembre 1931 des suites d’une infection.
Elle est l’une des personnalités transgenres les plus connues, en partie grâce aux films The Danish Girl de 2015.
Marsha P. Johnson, militante DragQueen aux origines de la Pride, saluée par les personnes transgenres
« J’ai été battue, jetée en prison, j’ai perdu mon travail pour la libération homosexuelle. Il est temps de faire la révolution maintenant. »
Née Malcolm Michaels Jr, le 24 août 1945 à Elizabeth, dans le New Jersey. Marsha Johnson a connu une enfance difficile en raison de son éducation chrétienne. Elle se travestit dès son plus jeune âge mais est rapidement réprimandée. Après avoir obtenu son diplôme d’études secondaires, Marsha Johnson déménage à Greenwich Village, à New York. Là-bas, Marsha a du mal à survivre. Elle est sans abri et se prostitue pour joindre les deux bouts. Cependant, elle a trouvé le bonheur en tant que drag queen au milieu de la vie nocturne de Christopher Street.
Johnson a conçu tous ses propres costumes et est rapidement devenue une figure de proue de la communauté LGBTQ en tant que « drag mother », aidant les jeunes LGBTQ sans abri et en difficulté, et en faisant le tour du monde en tant que drag queen avec les Hot Peaches.
Elle est l’instigatrice des événements de Stonewall. Il est attribué à Marsha le premier jet de pierre sur la police anti-émeute mobilisée au Stonewall Inn.
STAR et autres mouvements…
A l’issue de cette mobilisation, elle fonde avec Sylvia Rivera la Street Transvestite Action Revolutionaries (STAR). Cette association vise à aider les New-yorkais transgenres à la rue. Faute de financements, le programme est abandonné. Toutefois, il donne lieu à un manifeste radical qui exige « la libre expression du genre, la fin des injustices carcérales, des problèmes des sans-abri et la création d’une communauté inclusive qui rejette les définitions normatives de genre et d’identité sexuelle. »
Avec Sylvia Rivera, elle participe également à un programme qui vise à aider les jeunes de leur communauté en difficulté, notamment celles et ceux vivant sur les docks en leur apportant vêtements et nourriture.
En marge de la Gay Pride de 1992, le corps de Marsha P. Johnson est retrouvé sans vie dans l’Hudson River. Considérée par la police comme un suicide, sa mort est remise en cause par ses proches qui assurent alors qu’elle n’a jamais été suicidaire. Depuis, l’enquête a été réouverte en 2012. Cette mort mystérieuse a été mise en images dans un documentaire Netflix : The Death and Life of Marsha P. Johnson.
Mademoiselle Rosette, une fille imaginaire…
Pierre-Aymond Dumoret, né en 1678, a toujours été persuadé d’être une fille. Elle aimait porter des habits de femme et se faisait appeler « mademoiselle Rosette ».
Rien ne l’a fait changer d’avis, ni les dures remontrances de son père, avocat au Parlement de Toulouse, ni les moqueries des enfants, ni la perte, à plusieurs reprises, de son emploi de préceptrice.
Elle s’était fabriqué de faux seins en tissu, s’infligeait des baleines en fer pour affiner sa taille et s’était « cruellement enchaîné » le sexe, au point de défaillir peu avant sa mort, en 1725. Toute sa vie, elle s’est battue pour prendre le contrôle de son corps malgré les insultes et les violences psychologiques dont elle faisait face quotidiennement.
L’histoire de Mademoiselle Rosette serait peut-être restée inconnue si sa succession n’avait été l’objet d’une grande querelle juridique. Sa famille a bataillé pour faire casser (pour cause de « démence ») son testament dans lequel elle léguait ses biens à un hôpital.
Eugène-eugénie, une figure de sainteté
Au début du Moyen Âge, une certaine Eugénie apparait dans les manuscrits comme une sainte femme. Entre les Xe et XIIIe siècle, elle devient le moine Eugène. Puis vers la fin du Moyen Âge, Eugène est à nouveau représenté en femme.
Fille du vicaire d’Égypte Philippe, elle suit des études de philosophie. Un jour, elle se promène avec deux de ses valets eunuques, Prothe et Hyacinthe, lorsqu’elle entend une prédication et des chants qui la ravissent. Elle décide alors de rejoindre les chanteurs, qui sont des moines, et de mener leur vie. Pour cela, elle se fait couper les cheveux, revêt des habits d’homme et prend le nom d’Eugène. Elle acquiert une grande renommée au sein du monastère, notamment par son pouvoir de guérir les malades.
« Outed » par la faute d’une femme qu’elle a aidé
Apprenant cela, une femme nommée Mélanthia, gravement malade, la fait venir chez elle. Eugénie la guérit, mais Mélanthia, persuadée d’avoir un homme en face d’elle, souhaite la récompenser en lui offrant ses charmes. Bien entendu Eugénie refuse, et la dame, humiliée, la fait traîner devant le tribunal en l’accusant d’avoir voulu la violer.
Près d’être jetée aux lions, en présence du protoconsul qui est son père, Eugénie décide de révéler la vérité : elle déchire sa tunique, montrant à la foule un sein qui n’a rien de masculin. Son père la reconnaît, et l’affaire s’arrête là. Dans la foulée, ses proches se convertissent au christianisme ; son père doit abandonner son poste et devient évêque.
Mais l’empereur Valérien a repris les persécutions contre les chrétiens. Eugénie est à nouveau arrêtée et condamnée à mort. Comme beaucoup d’autres saints, elle va subir sans dommages diverses épreuves telles que le bûcher ou l’immersion avec un lourd bloc de pierre attaché à ses pieds. En désespoir de cause, on décide de lui trancher la tête.
L’expérience d’Eugène/Eugénie montre que la transidentité à cette époque ne pouvait être valorisée qu’à la seule condition d’être vécue par des personnes chastes, vertueuses, angéliques.
« Il y a aussi des saint·e.s de l’Église chrétienne qui sont transgenres. On se rend même compte que, dans leur parcours de sainteté, leur transition de genre est perçue comme extrêmement positive, notamment parce que ça les rapproche de la fluidité des anges, parmi d’autres arguments théologiques »
Jin Xing, la première des célébrités chinoises ouvertement transgenres
La chose la plus incroyable dans la vie de Jin Xing est que personne n’en a fait un film – pour l’instant.
Élevée comme un garçon dans le nord-est de la Chine, Jin rejoint l’Armée populaire de libération à l’âge de neuf ans afin de suivre une formation de danseur dans sa division de divertissement. Rigoureusement entraînée à la fois au métier de soldat et au ballet, elle est devenue colonel de la troupe de l’armée avant l’âge de 18 ans et a remporté peu après le concours national de danse de la Chine.
Jin a quitté la Chine pour étudier, puis se produire, aux États-Unis et en Europe. Mais elle est rentrée chez elle à 26 ans avec un objectif bien précis : devenir la femme qu’elle était censée être. Elle a insisté pour subir une opération de changement de sexe en Chine, même si les médecins chinois n’avaient pas beaucoup d’expérience dans ce domaine à l’époque. L’opération a laissé une de ses jambes partiellement paralysée. Il ne lui a fallu que trois mois pour retrouver une forme physique suffisante pour danser.
Rien ne l’a arrêtée depuis. En tant que femme – et première célébrité chinoise ouvertement transgenre – Jin a créé sa propre troupe de danse, s’est imposée comme la principale chorégraphe contemporaine du pays, a ouvert un bar branché à Pékin, a joué dans des films et sur scène, a adopté trois enfants, s’est mariée et est devenue un juge tristement difficile à satisfaire dans l’émission chinoise « So You Think You Can Dance ». Elle anime actuellement son propre talk-show télévisé, qu’elle décrit comme une « préparation ».
« Les gens disent que je serai la femme la plus influente de ce pays, je le sais, mais pas encore. J’y travaille.' »
Padmini Prakash, entrée dans l’histoire de la télévision
Allumez le journal télévisé nocturne de 19 heures à Coimbatore, en Inde, et vous verrez Padmini Prakash entrer dans l’histoire.
La jeune femme de 31 ans présente le bulletin principal de la chaîne en tamoul Lotus TV depuis août 2014, date à laquelle elle est devenue la première présentatrice de journal télévisé ouvertement transgenre en Inde.
Reniée par sa famille à l’adolescence et sauvée du suicide, Prakash a d’abord trouvé du travail comme danseuse, puis comme actrice. Elle a ensuite participé à des concours de beauté réservés aux membres les plus courageux de la population indienne de hijira, ou personnes transgenres, dont le nombre est estimé à deux millions.
Après que la Cour suprême indienne ait reconnu « le droit de chaque être humain à choisir son genre » et ordonné au gouvernement d’offrir une protection et des chances égales aux personnalités transgenres, Lotus TV a engagé Prakash.
Après deux mois de formation, Prakash a présenté sa première émission le jour de l’indépendance de l’Inde.
« Padmini est maintenant meilleure présentatrice que beaucoup d’autres », a déclaré un porte-parole de la chaîne. « Nous avons de très bons retours de la part des téléspectateurs ».
Pour plus d’articles sur les personnes transgenres et les transidentités : Garçon Magazine