Violences conjugales dans les couples d’hommes, un phénomène invisible

...

En 2020, 23 hommes sont morts dans le cadre de violences conjugales dans les couples gays. En partant de ce chiffre, Émeric Friedman, sociologue spécialisé en conflit, criminologie et médiations, a réalisé un dossier pour mettre en lumière ce fléau. Après des mois d’enquête, mêlés de témoignages, il dresse son bilan.

Un texte du sociologue Émeric Friedman

« Un jour, mon pote Léo vient à la maison. Le soir, je lui dis on sort, donc si tu veux, mange avec nous, et là je demande à Lucky s’il peut attraper le pain, car je ne souhaite pas qu’il voit que j’ai du mal à marcher. Là, mon ex me répond, « tu es un soumis, c’est à toi de servir, tu te remues ou je te défonce, et te frappe… ». Il y eut un silence. Mon meilleur pote remarque que je me lève, et, quand mon ex rétorque : « tu vas te bouger ! » Il fait de même, et je le vois prendre son blouson ainsi que le mien. Il m’attrape par le bras avec délicatesse. Je hurle et j’ai très mal, car mon ex m’avait frappé… C’est ma première expérience violences conjugales »

Lucas, 34 ans, Occitanie

La violence dans les amours masculines est un phénomène invisible régi par la loi du silence. La non-déclaration des infractions confère à l’auteur de cet acte un filet de sécurité qui lui permet de continuer à la perpétrer.

« Euh… avec mes potes gays de l’époque qui avaient eux aussi des relations euh… il y avait également un déni de toute façon ! Et, même quand j’en parlais à quelques personnes euh… rien ne changeait, il y avait une incapacité à entendre ! »

Hector, 64 ans, Île-de-France

Un phénomène banalisé

Le premier facteur explicatif de la non-déclaration semblerait relever de la pression de conformité sous le pan d’injonctions à la masculinité. Dans les récits d’entretiens, les rares enquêtes, ayant fait part de leur vécu de violence à un ou plusieurs membres de la communauté, nous disent qu’ils n’ont pas été entendus. Une sorte de tabou qui entacherait à la fois la virilité, mais également l’image des queers. À la différence du témoignage ci-dessous ce n’est pas tant qu’elle soit acceptée ou non, mais qu’elle soit passée sous silence ou pire qu’elle ne soit pas prise au sérieux.

Découvrez aussi : #Metoogay, les gays s’élèvent contre les agressions sexuelles

Concernant le viol, par exemple. seules quatre de nos enquêtes confirment une expérience de violence sexuelle. Alors qu’ils nous décrivent les faits caractéristiques qui s’y prêtent, ils ne vont pas l’identifier en tant que tels. Comme si dans les relations homosexuelles, l’absence de consentement est maître, faisant de l’homme viril un pur produit de désirs intarissables. Néanmoins, cette pression de conformité va bien au-delà de la communauté elle-même.

« Après la maltraitance de ma mère, j’ai envie de dire que c’est le milieu gay qui m’a violenté aussi. Et ce, sous couvert de fausses bonnes valeurs !… Et puis, on est dans un monde où tout est accepté. »

Steeve, 50 ans, Île-de-France, victime de violences conjugales

Des tensions dans le couple

Il semblerait que le cadre d’expérience de violence prend sa source dans des faits antérieurs au couple. Nous nous rendons compte dans les récits de 13 témoins que majoritairement, victimes et bourreaux ont subi de la maltraitance pendant leur enfance. Ainsi, l’apprentissage de l’amour serait une question de soumission sous divers degrés d’agression. De manière schématique, dans la « violence-punition », l’auteur de l’acte est alors cloîtré dans cette spirale interminable, bien qu’elle ne soit pas d’accord avec et qu’elle ne souhaite pas, de prime abord, la perpétrer.

Retrouvez également : Suicide : Alexandre, comment revivre après deux tentatives ?

Le bourreau aura une prise de conscience à l’égard de son rôle de dominateur et connaîtra le sentiment de toute- puissance, qu’il perpétuera dans son ou ses futurs couples. D’autant plus que la non-déclaration lui confère une légitimité, puisque personne ne va lui faire comprendre que son attitude est légalement répréhensible. Ainsi, ce silence amène quelque chose d’encore plus complexe, dans la mesure où elle fait partie intégrante du parcours biographique de l’enquête qui a appris à réguler en « interne » l’expérience de violence. Ce qui tend à amplifier la détresse des victimes.

« Tu sais, ce sont deux mecs ensemble, ils sont virils. Ce n’est pas possible que ça existe ! Et puis tu as honte aussi, clairement ! Je n’ose pas en parler à ma famille à cause de ça ! Parce que je n’aurais pas été capable de leur expliquer la situation, et je pense que pour eux ça aurait été une aberration complète, mais y compris ma mère hein ! »

Mika, 40 ans, Occitanie, victime de violences conjugales

Une faible confiance en la justice

La non-déclaration est due à la mauvaise image que certains hommes ont des officiers de police ou de gendarmerie. Le fait de verbaliser son vécu de violence, induit de révéler son orientation sexuelle à des individus dont on ne connaît pas le degré de tolérance vis-à-vis des gays. Une frontière va se dessiner entre l’homophobie, que les victimes ressentent vite, de même qu’une méconnaissance, par l’agent, de ce qu’est la communauté, ce qui va brouiller les interactions.

« Je pensais que la police se foutrait de ma gueule en fait ! Je n’ai pas d’antécédents avec elle, mais un jour, je les ai entendus proférer des propos discriminants, quand je sortais d’un club. Ils nous ont fait un contrôle d’identité, et euh… en partant, un peu plus loin, il y en a un d’entre eux qui a dit : « tu sens le poppers ? Ah la la ces tarlouzes ! »

Hamza, 28 ans, Île-de-France, victime de violences conjugales

En conclusion, l’expérience de violence se révèle traumatisante pour nos victimes. Manipulation, rabaissement, coups, lacérations et viols sont autant d’infractions subies que ces dernières continuent à porter même après la rupture, et qui vont modifier leurs attentes vis-à-vis des futures relations amoureuses. C’est en ce sens qu’il demeure important de travailler sur la libération de la parole au sein de la communauté afin de freiner le phénomène, et de permettre aux personnes soumises de sortir du silence. 

FERMER
FERMER