Un bruxellois raconte la vie dans les « zones libres d’idéologie LGBT » en Pologne

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Pologne

Depuis 2019, 80 villes polonaises se sont déclarées « libres d’idéologie LGBT ». Face à cette démarche, l’UE vise à mettre en place des mesures pour lutter contre l’homophobie dans le pays. Pour savoir un peu plus sur la vie dans ces zones, nous avons rencontré Charles-Elie Chauvaux. Créatif dans une agence de publicité à Bruxelles, il s’intéresse à l’ancien bloc de l’Est et les régimes totalitaires. Ce sont les raisons pour lesquelles il décide de se rendre dans les zones « libres d’idéologie LGBT » et de documenter le voyage dans son blog, From LGBT free zones with love. Il en parle avec nous.

Pourquoi as-tu décidé de voyager dans les zones anti-LGBT en Pologne ?

Depuis leur création en juin 2020, ces zones » libres d’idéologie LGBT » n’ont cessé de m’intriguer. Face à l’homophobie, les dirigeants européens sont impuissants. Etant fasciné par les pays de l’Est et leurs politiques, les zones anti-LGBT étaient pour moi une destination de premier choix.

Comment as-tu organisé ton voyage?

Mon voyage n’aurait jamais été possible sans l’Atlas of Hate, une carte créée par 4 activistes polonais qui répertorie les zones anti-LGBT. Ça m’a été d’une grande aide, car les zones ne sont pas annoncées à l’entrée des villes. On passe d’une zone anti à une zone tolérante sans le remarquer. Les zones anti-LGBT sont présentes à 3 niveaux de pouvoir : les régions, puis les arrondissements et enfin les communes. Je me suis concentré sur les arrondissements et communes, car pas mal d’endroits dans ces régions n’ont pas suivi le mouvement ou ont invalidé les résolutions prises.

Avant d’y aller, quelle image avais-tu de ces régions ?

Ayant fait pas mal de recherches, j’avais une idée assez claire de ce que j’allais y trouver. J’avais listé les lieux touristiques comme n’importe quel touriste aurait fait. En revanche, j’ai été étonné de constater que les zones anti-LGBT sont assez bien peuplées et proches des villes. Ce n’est donc pas uniquement un manque d’interactions avec la communauté LGBT qui justifie cette homophobie. On est clairement face à des lobbies catholiques qui gangrènent la société.

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Quelle atmosphère règne dans ces zones ?

Pour comprendre la réalité, il suffit d’ouvrir Grindr. Peu de mecs et beaucoup de profils sans visages. J’ai eu l’occasion de faire quelques rencontres. Pour les personnes que j’ai rencontrées, l’instauration des zones anti-LGBT n’a pas changé grand-chose. L’homophobie était déjà très forte et bien ancrée, mais elle a décomplexé encore plus la prise de position. Ils ne sont pas fiers de là où ils vivent, ni de cette subite médiatisation. Ceux que j’ai rencontrés espéraient vite partir.

Ta perception des zones anti-LGBT en Pologne, a-t-elle changé, après ton voyage ?

Non, elles sont fidèles à mes attentes : une destination pas très intéressante. Si seulement les zones anti-LGBT n’étaient qu’une question de tourisme, je dirais qu’il n’y a absolument pas de problème. Vous ne voulez pas de nous ? Tant mieux, on ne compte pas venir. Continuez votre vie paisible « sans » LGBT. Les villes à proximité et la capitale ont beaucoup plus d’intérêts.

J’ai sué pour trouver des choses intéressantes à photographier. Malheureusement, ce n’est pas une question de tourisme. Imaginez vous découvrir homosexuel dans des régions qui considèrent l’homosexualité comme une idéologie malsaine à proscrire. C’est désolant, et d’autant plus que l’Europe laisse faire. J’éprouve donc beaucoup moins d’indulgence face à ces gens qui votent en toute connaissance de cause pour un parti ouvertement homophobe.

As-tu vu des actes homophobes de quelque sorte là-bas ?

Je n’ai pas vu d’actes d’homophobes, mais des actes de résistance. Je suis passé à côté de posters 20m2 aux couleurs du drapeau LGBT. Ils étaient situés à proximité des zones. On pouvait y lire : « L’homophobie tue. Vous n’avez pas à les détester ». Je ne pense pas que ça va convaincre les homophobes, mais ça souligne que la communauté LGBT et ses alliés ne restent pas inactifs face à cette injustice. On a également pu le constater avec des juges qui invalident ces résolutions.

Dans ton blog, tu dis avoir apporté « une grosse touche d’homosexualité » dans ces zones, en Pologne. Peux-tu nous en dire plus ?

Je ne pouvais pas visiter les zones » libres d’idéologie LGBT » en laissant ma véritable identité à leurs portes. Ça aurait été un aveu de faiblesse. Se plier à cette coutume locale, c’est cautionner l’inacceptable. C’est pourquoi j’ai eu l’idée de me photographier en suçant. Ce n’est pas que j’apprécie l’acte particulièrement, je suis même plutôt mauvais, mais mimiquer la fellation à une dimension symbolique assez emblématique. Passer d’une zone à une autre en suçant me donnait un vrai sentiment de rébellion.

Parallèlement, pour les locaux qui me voyaient, j’étais un simple touriste qui se prenait en selfie en grignotant un bout. C’est évidemment toutes ces photos réunies qui donnent à ce voyage, d’une banalité affligeante, une saveur particulière. Et puis le fait que je sois homo apporte une tension intéressante qui fait des zones anti-LGBT un sous-genre du tourisme noir : le tourisme noir pour homosexuels.

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